Correspondances & Carnet - Voyage Immobile

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----- Original Message -----
From: Picabiette
To: Cathbleue
Sent: Saturday, January 11, 2003 11:04 PM
Subject: Qu'en dis tu ?

Préparé un courrier ci-dessous pour Elena (Yurevna). Est-ce pertinent de le lui adresser?
Merci de ta réponse,

Picabiette


>From: "Picabiette" <picabiette@wanadoo.fr>
>To: "Elena Yurevna" <elenayurevna@hotmail.com>
>Subject: Re: Les informations que vous nous avez demander
>Date: Sat, 11 Jan 2003 22:28:49 +0100


Le 12 janvier 2003

Chère Elena (Yurevna)

Et voilà, je tarde, je tarde à vous répondre : ne m'en veuillez pas ! Merci infiniment des précisions que vous m'avez apportées. Qui, cumulées à celles de votre manager (Elena Penzina), me font désormais entrevoir un voyage aussi paisible qu'éblouissant. Je vous dois une explication sur ma manière de voyager, pour le moment assise sur une chaise de bureau rouge vif - équipée de roulettes fort commodes pour circuler entre mes murs (c'est cette chaise que je devrais proposer à mon amie Cathbleue quand elle vient dîner, car, voyez-vous, Cathbleue s'est engagée dans une entreprise de démolition de toutes mes chaises. Elle en tombe, quatre fers en l'air, au moindre chat qui lui coule un regard de biais, au risque de se rompre elle-même les os.)

Si vous le voulez bien, je préparerai soigneusement mon voyage pendant quelque temps. Je veux le voir dans ses moindres détails. Il ne s'agira plus, ensuite, que d'effectuer des vérifications sur place. In situ. Sur le terrain. En somme, une formalité.

J'ai fait un saut à Brest Litovsk, que je ne situais pas en Biélorus : tous ces changements dans vos régions sont, pour nous, difficiles à suivre. Le grand empire soviétique avait du bon ! J'ai été très séduite par ce pays plat avec une ligne de collines, et, dans le sud, par les marais dits du Pripet. Je me suis laissé dire que c'est à cet endroit que se perdit la grande armée de Napoléon et avec elle les rêves de conquête de l'Europe. Bien fait. Je n'aime pas Napoléon, que n'a-t-il disparu dans les marais du Pripet. Mais c'est de l'histoire ancienne.

Pour le temps présent, j'aimerais surtout assister à un spectacle de la troupe chorégraphique Radost, instigateur des meilleures traditions de l'art chorégraphique dont l'originalité, à la différence d'autres régions de Biélorus, consiste en une grande fougue, un caractère émotionnel, une beauté et une richesse des costumes.
Alors renaissent les vieux villages, les déesses et les mythes de la forêt et les ponts sur les ruisseaux où rêvent les jeunes filles.
Alors les équinoxes et les solstices renvoient aux anciennes croyances. Alors le printemps réveille les cœurs. C'est une sorte de magie qui descend sur ce spectacle où les lutins des marais et les elfes des étangs se donnent la main pour danser dans les brouillards matinaux quand personne ne fait encore la différence entre la terre et le ciel. Être cette jeune fille rêveuse, cet elfe de l'étang donnant la main à un lutin. Je me suis bien documentée, et la photo de Radost que je détiens montre en effet des costumes seyants. Les petits corsets rouges des femmes, les solides bottes des hommes, les rubans, les volants des jupes, les coiffes, les passementeries : tout cela invite au songe.
Mais pourriez-vous me dire si les géants de jardin font partie du spectacle ? Ici, nous sommes friands des nains de jardin, chacun en prend le plus grand soin et les dispose dans les buissons, ou au bord des bassins réservés aux poissons rouges ; mais nous ne connaissons pas les géants de jardin : est-ce une spécialité biélorusse ?

J'aurai d'autres questions à vous poser sur Brest Litovsk et le Biélorus, en particulier sur l'art du corset : j'ai pu trouver des photos de beautés biélorusses, mais je n'arrive pas à distinguer si les corsets sont réels ou peints sur le corps de jeunes filles rêveuses, et je ne comprends pas très bien pourquoi les corsets dégagent avec autant de vérité les seins de ces fées, en particulier ceux de Alena habillée par Siarguei Michnek. Il me faudra rencontrer Alena et Siarguei pour m'initier à l'art biélorusse du corset.

J'aimerais également en savoir plus sur le pont démoli, d'une portée de 89 mètres, qui se situait près de la forteresse. Car, voyez-vous, je connais assez bien un autre Brest, qui n'est pas Litovsk, et qui jouit d'un pont, près d'une forteresse, que j'évaluerais volontiers à 89 mètres. A moins qu'un événement grave et récent m'ait échappé, le pont de Brest situé près de la forteresse n'est pas démoli, pas du tout, il est même très utilisé par ceux qui, se trouvant rive gauche de la rivière nommée Penfeld, veulent se rendre rive droite, et vice-versa.

Je suis passée très rapidement, trop rapidement, à Brest Litovsk, de même qu'à Balesino, juste après Glasow. La distillerie Glazovsky a retenu toute mon attention, ainsi que son directeur Sorokin Nikolai Borisovich, en place depuis 1993, qui a su porter la production à deux mille décalitres de vins et spiritueux par jour ! Quel homme ! Je suis en particulier intéressée par la vodka Kalashnikov, dont j'imagine qu'elle pète le feu. Elle serait une excellente attraction pour mes amis, ici, dont le sentiment vital manque parfois d'ardeur. Il tombe sous le sens que la vodka Kalashnkov saura leur ramener toute la joie de vivre en fuite.

Enfin, pour tout vous dire, je me suis rendue à Vladivostok, et je suis tombée sous le charme de ce port oriental, de l'Océan Calme, de la gare, du carrefour de la rue Svetlavskaia, de l'X Galaktika, des hommes dans le froid qui serrent les épaules et mettent les mains dans les poches… Je suis à Vladi comme un poisson dans l'eau. Vous savez ce que boivent les poissons dans l'eau ? Mais oui, vous le savez, c'est même vous qui m'en avez informée : les poissons boivent de l'eau, beaucoup d'eau, même et surtout quand ils voyages en avion. C'est sans eux que je me rendrai au rendez-vous que vous prendrez pour moi auprès de Sorokin Nikolai Borisovich à la distillerie Glasovski.

Pour l'heure, je file au sanatorium du Golfe de l'Amour où m'attendent la Barocaméra, les bains bouillonnants, les massages. Et peut-être, peut-être, ah, coquine, l'homme russe costo que vous m'avez promis. J'espère que vous ne l'avez pas envoyé, le costo, du côté de Blagovechtchensk (une région d'Amour, elle aussi, d'après vous) au sanatorium de Dadal où l'on soigne l'érosion des corps par le koumis et le moumis : il me semble bien que le lait de cheval - mais comment faites-vous pour extraire du lait d'un cheval ? - convient mieux aux périodes estivales. J'attendrai aussi que l'érosion de mon corps soit avérée. Les voyages d'admiration infinie méritent la lumière d'été, les longues journées, la chaleur.


A bientôt pour de nouvelles questions. C'est avec la plus grande impatience que j'attends vos réponses, dont je sais qu'elles seront précises et documentées. Je vais encore prolonger mon séjour à Vladivostok : la proximité de l'Océan Calme tempère les grandes rigueurs de l'hiver, et puis j'aime les ports, le vent qui souffle entre les entrepôts, le clapotis de l'eau, le bruissement des voix. Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse, et roule bord sur bord et tangue et se balance… Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte… Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi, mais votre appel au fond des soirs me désespère, car j'ai de grands départs inassouvis en moi… [je vous conseille la version Fauré, pas la version Julien Clerc].


Bien à vous,
Picabiette

ps : mais que faisiez-vous donc en Afghanistan ? Vous m'en voyez fort inquiète.